samedi 17 janvier 2015

Steak (r)évolution (L'interview)

Quel est le point de départ de Steak (r)évolution ?

Un amateur de viande cherche à comprendre pourquoi la viande en France est si différente de celle qu’il a eu la chance de goûter au fil de ses voyages... Et cet amateur de viande, c’est moi ! Je suis issu d’une famille d’éleveurs de vaches charolaises et j’ai longtemps pensé que c’était la meilleure viande du monde... Jusqu’au jour où j’ai compris que ce n’était pas l’avis de tout le monde : les Argentins, les Américains, les Japonais mais aussi les Italiens ont une relation beaucoup plus forte à la viande que nous. Où peut-on manger le meilleur steak du monde ? Cette question est devenu une obsession.

Une fois cette quête posée, quelle a été votre méthode de travail ?

Mon point de vue est ici celui du consommateur amateur de viande. Ma démarche s’inscrit donc en premier lieu dans une recherche de produits de qualité mais j’ai aussi voulu comprendre la philosophie de chaque protagoniste derrière les produits. Concrètement, j’ai commencé par me renseigner autour de moi et on m’a tout de suite confirmé qu’il fallait aller dans les grands pays de viande que j’évoquais : l’Argentine, les États-Unis et le Japon. Ensuite, en surfant sur Internet, si vous tapez « meilleur boucher du monde » ou « meilleur spécialiste de la viande », vous tombez assez rapidement sur le nom d’Yves-Marie Le Bourdon- nec. Je l’ai donc rencontré pour lui expliquer mon projet. Et très vite, je me suis rendu compte qu’on pensait souvent la même chose de la viande, même si son approche est plus professionnelle que la mienne. Et il a spontanément proposé de m’accompagner dans certaines destinations où lui avait envie de vérifier ses intuitions. Il est ainsi venu au Japon, en Italie et en Suède. Puis, j’ai rencontré un autre personnage essentiel : Mark Schatzker, écrivain et journaliste au Globe and Mail de Toronto, auteur du livre Steak. En confrontant nos expériences, j’ai pu par exemple m’éviter des voyages inutiles : cela ne servait à rien d’aller en Nouvelle- Zélande car les vaches sont les mêmes qu’en Grande-Bretagne où je me rendais déjà. Et puis, Mark m’a aussi apporté un point de vue extérieur plus que pertinent sur la viande française.

Dans Steak (r)évolution, vous partez donc à la recherche de la meilleure viande du monde. Sur quels critères vous êtes-vous basés pour la définir ?

Des critères précis mais évidemment... subjectifs puisqu’il s’agit ici de la meilleure viande selon mes goûts à moi. Pour résumer, il fallait que la dégustation me procure du plaisir (en fonction des différentes textures, goûts et arômes) et un bien-être (ce qui pénalise les viandes grasses forcément moins digestes). Pour faire un parallèle avec le monde vinicole, je suis dans une optique de vin de qualité pas trop fort en alcool. Sachant qu’on pourrait comparer, dans cette même logique, la viande française à un excellent Beaujolais et le bœuf de Kobé à un Château d’Yquem au point qu’on peut même se demander dans ce cas si l’on parle encore de viande. Au fur et à mesure de mes rencontres et de mes voyages, je me suis rendu compte que mon goût personnel tendait à ressembler au goût commun.

En vous lançant dans cette aventure, vous aviez une idée du pays où vous trouveriez ce meilleur steak du monde ?

J’avais une intuition : le meilleur steak du monde était probablement servi à New- York au restaurant Peter Luger. Mais comme on le voit dès le début du film, mon intuition se révèle totalement fausse ! Yves-Marie m’avait pourtant prévenu : « Tu ne peux pas passer aussi subitement du Charolais à Peter Luger ! » Car la logique de Peter Luger incarne la relation américaine à la viande, à l’opposé de la française : celle des animaux gavés aux céréales et extrêmement gras. Ils privilégient une viande grasse et molle à celles tendres et goûteuses. Donc, en débutant le tournage de Steak (r)évolution, je n’avais vraiment aucune idée d’où j’allais pouvoir dénicher ce fameux meilleur steak du monde. Un seul détail pouvait me faire penser que je le trouverai en Espagne : le fait que ce pays soit à la pointe de la cuisine mondiale, trustant chaque année ou presque le podium du classement des meilleurs restaurants du monde...

Quels films aviez-vous en tête avant de vous lancer dans Steak (r)évolution ?

Mondovino évidemment. Mais plus qu’un film en particulier, j’avais avant tout en tête l’idée de faire un documentaire sans voix-off ni commentaire. Je ne voulais pas apparaître à l’écran et donner directement mon avis. Je souhaitais que le spectateur puisse contruire le sien en fonction de ce qu’il voyait et en réaction aux différents témoignages. Deuxième chose, je n’ambitionnais pas de faire une enquête façon Michael Moore ouFast Food Nation de Richard Linklater que j’avais à l’époque distribué en France. Steak (r)évolution ne s’inscrit pas dans la catégorie des films à charge. Je n’avais aucune envie de montrer le mauvais côté des choses, de filmer des abattoirs ou d’aller chez Mac Donald’s. D’autres l’ont fait – et très bien fait ! – avant moi. Je ne me situe pas sur ce terrain-là. 
Steak (r)évolution n’incite évidemment pas les gens à consommer à tout prix de la viande mais j’espère qu’il donne des clefs à ceux qui ont envie d’en manger pour les orienter dans leur quête de plaisir.

Ce n’est donc pas un film en réponse aux végétariens ?

Non ! Je crois d’ailleurs que les végétariens ont majoritairement raison : manger de la viande tous les jours est, sans doute, mauvais pour la santé. Mais ici, mon « message » est tout autre : quitte à manger de la viande, autant manger la meilleure possible. Et pour y parvenir, en France, il faudrait reconstruire entièrement la culture du consommateur. Aujourd’hui, elle n’est basée que sur la salubrité de la viande, ce qui est évidemment inattaquable mais ça n’a malheureusement rien à voir avec le goût.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans votre quête ?

Mon exploration de l’Argentine, le pays qui possède sans doute le marketing le plus puissant de tous ! Tout le monde est ainsi persuadé que la meilleure viande du monde est argentine, alors que celle que ses habitants consomment au quotidien (et en quantité : 60 kilos par an contre 15 en France !) se révèle extrêmement quelconque. En fait, il faut aller dans des restaurants très chers pour en trouver de la bonne car une très grande partie est vendue à l’exportation.

Vous avez eu accès à des choses rarement dévoilées, parfois même cachées, comme les coulisses du restaurant Peter luger ou les élevages de bœufs japonais... comment êtes-vous parvenu à convaincre vos interlocuteurs de vous laisser filmer ?

C’est le fruit évidemment d’un travail en amont, tous ont compris ma démarche. Je n’étais pas là pour distribuer des bons ou des mauvais points mais pour comprendre intimement le monde si singulier de la viande. Et je dois reconnaître qu’être issu d’une famille de paysans a sans doute constitué un élément déterminant !

Combien de temps a duré le tournage ?

Deux ans pour près de quarante heures de rushes ! Chaque personne me donnait le contact d’une autre... Il existe un point commun à tous les gens que j’ai rencontrés. Ce sont des passionnés qui souffrent de la mauvaise image de la viande. Une communauté qui essaie de la valoriser en un produit d’exception. Ils se connaissent tous ou presque. Et vont régulièrement les uns chez les autres.

Comment avez-vous travaillé sur le montage pour passer de 40 à 2 heures ?

Je suis revenu à la question de base : pourquoi ai-je voulu faire ce film ? Donc à quelque chose de beaucoup plus personnel que je ne l’avais imaginé. Il n’y a chez moi aucune volonté de « french bashing » pas plus que d’entonner le fameux air du « c’était mieux avant ». En fait, on peut résumer Steak (r)évolution comme le cri du cœur d’un Français qui, au fil de ses rencontres autour de la planète, est désormais totalement persuadé que l’avenir de la viande française peut être radieux. J’essaie de le montrer en pointant la différence entre nos viandes et celles des autres. Et plus précisément ce qui explique cette différence. Est-ce une question de culture ? De relation à l’animal ? D’élevage ? D’alimentation ? C’est en structurant mes images autour des réponses à ces interrogations que j’ai construit le montage de Steak (r)évolution.

C’est donc au moment du montage que vous avez réellement trouvé la colonne vertébrale de votre récit ?

Oui, c’est sur la table de montage que le film nous est clairement apparu à Vérane Frédiani, la monteuse et productrice, et à moi. Vérane m’avait accompagné pendant le tournage, elle m’a proposé plusieurs structures et finalement on a choisi la version la plus personnelle et la plus proche de la réalité de l’aventure de ces deux années. On a trouvé cette structure le jour où j’ai arrêté de me poser des questions sur ce que j’avais dans mon assiette et que je me suis enfin posé la bonne question : qu’est-ce que mangent les vaches (qui sont dans mon assiette) ? La vraie bataille se situe là. Or, c’est une relation que beaucoup ne comprennent pas. J’en suis venu à cette conclusion frappée au sceau du bon sens : il n’y a pas de bon steak sans vache heureuse ! Tout n’est pas question de maturation ou de cuisson. Cette relation réelle et forte entre l’homme et l’animal est essentielle. Et l’éleveur qui, chaque jour pendant 15 ans, va parler à sa vache et lui donner à manger lui-même avant de la tuer produira forcément une viande meilleure.

C’est pour cela que vous ne vous contentez pas d’un simple classement du dixième au premier ?

Exactement. Cette quête n’est qu’un moyen, pas le but de mon film. Le construire à la façon d’un compte à rebours n’aurait pas eu de sens. Chaque dégustation m’a fait comprendre et savourer la suivante, chaque dégustation m’a fait grandir.

Vous ne terminez d’ailleurs pas votre film sur l’espagne, le numéro 1, mais en corse. Pourquoi ce choix ?

Je tenais à terminer sur la France. Alors, sur la table de montage, je me suis demandé ce que j’avais pu voir de plus surprenant dans notre pays au long de ces deux ans de tournage. Et sans l’ombre d’une hésitation, c’était ce Corse dont on m’avait beaucoup parlé et que je suis allé rencontrer quand j’ai appris qu’il fournissait en veau l’excellent restaurant parisien, Le Sergent recruteur. Il est très atypique, ne fonctionnant avec aucune aide européenne, il a su affirmer sa singularité dans l’excellence. Il est à la fois éleveur, boucher et cuisinier : la com- binaison parfaite. Il produit lui-même son foin et ses céréales. Bref, il est en totale autonomie. En finissant mon documentaire sur lui, je veux montrer que nous avons tout à gagner à nous débarrasser de nos préjugés sur la viande. Notre pays possède des possibilités exceptionnelles. Mais comme producteur, on n’a juste pas fait le choix des bonnes vaches. Et comme consommateur, on ne dispose pas des bonnes informations. Sur les cartes des restaurants, on peut lire « viande de la Communauté Européenne », mais ce n’est pas là que se situe l’essentiel. Il vaudrait mieux connaître la race, l’âge de la vache quand elle a été abattue, le temps de maturation de la viande... Enfin et surtout, nous devons rompre avec notre éducation : on nous a appris à acheter de la viande saine donc pas grasse, alors que la bonne viande est forcément grasse puisque le gras est le vecteur du goût !

Quel est votre souhait avec Steak (r)évolution ?

J’espère que ma démarche permettra aux spectateurs d’apprendre des choses sur la viande et, en priorité, sur la bonne viande. J’ai voulu faire ici un état des lieux authentique de la filière autour du monde, avec enthousiasme et optimisme. Car, contrairement au monde du vin, il y a de l’espoir dans la viande !

commeaucinema.com

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